Vous êtes harcelé(e) en ligne? Vous sentez-vous physiquement en danger? C’est la première question à se poser. Les conseils ci-dessous, élaborés en consultation avec des expert(e)s en sécurité, peuvent vous aider.
[Important] Ces informations sont proposées uniquement à des fins éducatives. N’oubliez pas: faites confiance à votre instinct et votre jugement, ce sont vos meilleurs alliés, et si vous sentez le besoin de rechercher une aide extérieure, n’hésitez pas à le faire.
Lorsque vous êtes attaqué(e) en ligne, il est fondamental d’évaluer rapidement le niveau de menace, tant sur le plan physique que numérique. La violence en ligne peut prendre de nombreuses formes, et vous pourrez avoir un avis différent sur vos besoins en matière de sécurité selon votre profil, votre histoire et votre expérience du cyberharcèlement.
Les questions suivantes, suggérées par les expert(e)s en sécurité travaillant avec des médias, peuvent vous aider à évaluer votre sentiment de sécurité:
- Connaissez-vous la personne ou le groupe de personnes qui vous harcèlent? Si oui, la croyez-vous ou les croyez-vous capables d’intensifier les attaques?
- Qui serait susceptible de vouloir s’en prendre à vous? Pour quelle raison? Quel type de ressources (humaines, financières, techniques) ces personnes pourraient-elles avoir à leur disposition? Que pourraient-elles trouver sur vous en ligne?
- Pensez-vous être visé(e) en raison de votre identité, ou de votre activité?
- Les messages que vous recevez contiennent-il des éléments vous concernant ou concernant vos proches (par exemple, une photo, une vidéo ou un audio de vous, vos coordonnées personnelles, votre lieu de résidence, votre lieu de travail, le nom de l’école de votre enfant)?
- Votre ou vos harceleur(s) vous a-t-il ou vous ont-ils menacé(e) en mentionnant un ou des détails spécifiques, comme une heure et un lieu (« Quelqu’un devrait faire quelque chose » et « Voici comment je vais vous faire cette chose »)?
- Voyez-vous des « indices d’irrationalité »? En d’autres termes, les harceleurs utilisent-ils de vrais noms, emails, numéros de téléphone ou s’identifient-ils d’une autre manière?
- Ont-ils une ligne de conduite particulière, comme le fait de vous attaquer de manière répétée et concertée?
- Avez-vous été piraté(e), vos comptes ont-ils été compromis ou détournés par les hackeurs?
- Êtes-vous traqué(e) par le biais d’une communication électronique?
- Votre ou vos agresseur(s) a ou ont-il(s) publié de manière non consensuelle des photos sexuellement explicites de vous, ou en voulant leur donner une connotation sexuelle?
- Craignez-vous que ces messages, qui circulent publiquement, aient un impact négatif sur votre vie personnelle ou professionnelle?
Répondez à ces questions aussi honnêtement que possible et faites confiance à votre instinct. N’hésitez pas à solliciter un point de vue extérieur en discutant de ces questions avec un(e) ami(e), un membre de la famille ou un(e) collègue en qui vous avez confiance.
Si vous avez répondu « oui » à l’une des questions ci-dessus, vous pouvez contacter les forces de l’ordre locales si vous pensez qu’elles peuvent vous protéger, consulter un(e) avocat(e) et/ou informer votre employeur si vous vous sentez en confiance pour le faire. Les organisations de défense des droits humains peuvent éventuellement vous soutenir. Dans ce Manuel, vous trouverez des conseils sur la manière de réagir face au harcèlement.
Des campagnes de cyberharcèlement orchestrées par des groupes d’intérêts
Pour évaluer la menace, il faut essayer de savoir qui se cache derrière le cyberharcèlement qui vous vise, ce qui n’est pas évident. Qui sont les auteurs du harcèlement en ligne? « De simples “haters”, individus ou communautés d’individus dissimulés derrière leur écran, ou des mercenaires de l’information en ligne, véritables “armées de trolls” mises en place par des régimes autoritaires», écrit l’ONG Reporters sans frontières (RSF) dans un rapport sur le harcèlement en ligne publié en 2018.
Ces campagnes de cyberharcèlement peuvent être particulièrement virulentes dans des contextes où la liberté d’expression est menacée. « Chaque fois qu’il y a des tensions politiques dans un pays, les journalistes sont confrontés à l’insécurité physique, aux menaces de morts, à des agressions physiques y compris en ligne et à des difficultés pour accéder à certaines informations », commente Assane Diagne, Directeur du bureau Afrique de l’Ouest de RSF. Le cyberharcèlement est alors utilisé comme un outil d’intimidation visant à faire taire les voix qui ne vont pas dans le sens du narratif d’un groupe d’intérêt, qu’il soit politique ou économique.
Ce trolling peut être organisé de manière stratégique. On parle dans ce cas d’astroturfing (voir notre glossaire du cyberharcèlement). Il s’agit de produire et de disséminer du contenu qui semble être partagé de manière spontanée par les utilisateurs(rices), mais qui est en fait produit artificiellement – via des internautes rémunérés, ou en utilisant de faux comptes ou des bots, des programmes informatiques – et diffusé de manière coordonnée par un individu, un groupe politique, une organisation, ou même un gouvernement. « Dans la plupart des pays africains, le trolling fait partie de l’arsenal de communication. C’est l’outil de mobilisation de l’attention que les hommes politiques et même des groupes professionnels utilisent pour occuper/saturer l’espace de communication et faire passer tout ce qu’ils veulent sans aucune difficulté », analyse Franck Kouyami, spécialiste des questions de sécurité informatique au Bénin.
L’utilisation ou pas de faux comptes vous indique le niveau de sophistication de la campagne en ligne. Le recours à des bots pour diffuser automatiquement du contenu sur les réseaux sociaux peut aussi présenter une menace sur votre sécurité, en ligne et hors ligne. Pour mieux identifier si le compte qui vous harcèle est authentique ou non, lisez cet article de Global Investigative Journalism Network [en anglais].
Les femmes, en première ligne face au cyberharcèlement
Le cyberharcèlement touche principalement les femmes journalistes. Il est ainsi le reflet amplifié des violences et paroles sexistes observées au sein des rédactions, auprès des sources ou du lectorat dans le monde physique. Même si ce harcèlement se passe en ligne, les conséquences sont bien réelles. Selon une étude de l’UNESCO menée auprès de 1200 journalistes dans le monde, 73% des femmes journalistes auraient subi des violences en ligne dans le cadre de leur travail, y compris des menaces de violence physique et sexuelle, ainsi que des atteintes à la sécurité numérique. 20% des femmes journalistes ayant répondu à l’enquête déclarent avoir été attaquées et agressées hors ligne en rapport avec la violence en ligne qui les visait.
Ainsi, les femmes journalistes reçoivent des menaces sexuelles à un taux beaucoup plus élevé que les hommes et sont également beaucoup plus susceptibles d’être agressées sexuellement. Il est donc compréhensible qu’elles puissent avoir peur ou se sentir intimidées face aux remarques et menaces sexuelles reçues en ligne. « Le harcèlement sur les réseaux sociaux concerne toutes les femmes journalistes, sans exception, déclare ainsi Pulchérie Gbèmènou, présidente de la cellule des femmes de l’Union des professionnels des médias du Bénin (CFU-UPMB). Pourtant, très peu des victimes en parlent par peur des préjugés ou par manque de confiance dans les organismes de soutien tels que les ONGs, les syndicats et associations des médias. » Ce phénomène constitue selon elle une atteinte à la liberté d’expression, et a des conséquences désastreuses sur la santé mentale et physique des victimes.
Ce harcèlement en ligne contribue à éloigner les femmes des réseaux sociaux – et pas seulement les journalistes ou autres créatrices de contenu. Ainsi, une étude conduite par l’ONG Internet Sans Frontières en 2019 dans 18 pays africains révèle que 45.5% des utilisatrices de Facebook et de Twitter ont déjà fait face à une forme de harcèlement en ligne. « Le sentiment d’insécurité en ligne contribue à renforcer le fossé digital entre hommes et femmes, note Internet sans Frontières. Ces expériences de violence en ligne ne motivent pas les femmes à rester connectées et donnent un a priori négatif à celles qui seraient désireuses de rejoindre le réseau. » Une tendance à la hausse, selon la Web Foundation.
Face à ces abus en ligne, l’une des premières étapes est de mieux évaluer la menace, ce qui nécessite une meilleure analyse du risque. Vous pouvez suivre ce formulaire d’évaluation des risques du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ). Consultez également le plan de sécurité de l’Electronic Frontier Foundation, qui vous guidera à travers une série de questions plus détaillées.